
-Georges SOULIER et son mitron .
Etre boulanger avant la seconde guerre, pendant et directement après, était un métier extrêmement pénible. Même s’il n’est pas de tout repos de nos jours, plus rien de comparable avec cette époque. Les fours chauffés au bois exigeaient un gros travail avec l’approche de la charbonnette, le chauffage du four longtemps avant la première fournée du petit matin, puis un entretien permanent et calculé au fur et à mesure des fournées. Il y avait là tout un art appliqué à une connaissance parfaite de son four. Sans oublier qu’il fallait également manipuler les sacs de farine de 100 kg. La dernière cuisson faite il s’imposait de nettoyer le four, le pétrin, etc…puis préparer les tournées dans les villages voisins. Un p’tit repos après déjeuner et bien vite, en fin d’après midi, c’était déjà l’approche de la charbonnette au fournil, les sacs de farine, et le levain pour les pains du lendemain.. Le levain donnait une grande qualité au pain tout en le rendant plus digeste. Etre boulanger, c’était se condamner chaque jour à un réveil vers une heure du matin, voire même avant en certaines circonstances. Hier, le pétrissage de la pâte à la main, et pas n’importe comment, nécessitait force et compétence. Aujourd’hui, le pétrin moderne est le bienvenu en ce métier.
On ne peut être que confondu par la dextérité du boulanger, notamment à la pesée des boules de pâte. A quelques grammes près, c’est toujours proche du bon poids ! Un don déconcertant ! Des boules pourtant loin d’être identiques puisqu’elles seront reprises pour être préparées en « miches », « baguettes » ou « couronnes » et placées dans des bannetons assortis. Les « baguettes », encore en pâte, seront harmonieusement rangées sur des « couches » de jute, régulièrement lavées, que le boulanger repliera sur les côtés au fur et à mesure. A la mise au four les baguettes sont récupérées avec une spatule bois puis placées sur une pelle de bois à long manche. Là, elles recevront quelques entailles, faites à l’aide d’une lame. Puis, le four prestement ouvert, d’un coup sec du poignet, la pâte y est déposée à l’endroit précis souhaité. Pendant la cuisson la baguette de pain ne doit surtout pas toucher ses voisines de four, sachant d’autre part qu’il ne faut pas perdre de place. Il y a, dans le four, un rangement précis à respecter, malgré la rapidité imposée, c’est dire toute la difficulté.
Le temps de cuisson atteint et vérification faite il faut alors sortir « la fournée » dans un ordre bien établi et le plus vite possible. A certaines étapes de tout ce travail il est déconseillé de pénétrer dans le fournil, le moindre des courants d’air pouvant être néfaste à l’évolution de la pâte, et donc ruiner la qualité d’une fournée complète. Le boulanger travaillait beaucoup et gagnait peu. L’apprentissage était long, et d’une extrême rigueur. Avec l’arrivée de moyens techniques et mécaniques différents, même si ce métier s’est quelque peu amélioré, il n’en reste pas moins difficile. Depuis cette époque, les fours ont changé, ils ne sont plus chauffés au bois. La qualité des farines s’est également modifiée. Mais par contre je ne retrouve plus, personnellement, la qualité de notre pain d’antan, toujours parfait le lendemain et même le surlendemain, ce qui n’est plus le cas de nos jours.
Nous avions à Messigny deux boulangeries- épiceries, la boulangerie SOULIER par le « mi-temps » de la rue Principale et la boulangerie GAUTEY sur la place, à l’angle de la rue des Ecoles où elle reste aujourd’hui la seule.
Madame SOULIER, au doux prénom de Marianne, tenait le magasin épicerie. Dès qu’elles seront en âge de le faire ses deux filles Andrée et Simone participeront au développement du commerce. Très jeune Pierre, le fils, deviendra « mitron »l. A la mort prématurée de Georges, son père, il assurera la succession pendant quelques années avant de remettre la boulangerie.
La boulangerie GAUTHEY, d’abord tenue par les parents le sera ensuite par les deux enfants Albert et Yvonne. Eux aussi assuraient des tournées dans les villages voisins pour livrer pain et épicerie. C’est surtout à Yvonne que cette tâche incombait, alors que Mme GAUTEY mère servait au magasin et qu’Albert et son mitron s’affairaient au fournil. Inimaginable la rapidité avec laquelle Mme GAUTEY dressait la note de vos achats, sans jamais se tromper. Aussi performante que l’est de nos jours la calculatrice, laquelle ne s’imaginait même pas à l’époque. Gosse, j’étais toujours étonné de la voir faire l’addition.
Pendant l’occupation, avec les restrictions sévères sur le pain, nos boulangers locaux ont toujours fait au mieux de leurs possibilités pour leur clientèle. C’était important au plan alimentaire mais énorme aussi pour le moral. En 1959, toute la population sera dans la peine, au décès prématuré de Georges SOULIER, à l’âge de 54 ans. Lui ancien coureur cycliste sur piste au vélodrome des Allées du Parc à Dijon, lui qui avait tant donné de sa personne comme boulanger et Résistant.
Le pain a toujours la même importance, mais beaucoup moins qu’il ne l’était avant la seconde guerre. C’est de cette forte consommation que nous en avions qu’il nous fut si difficile d’en supporter les restrictions. Coupée dans une grosse miche, la tartine de pain, beurrée, avec du chocolat râpé dessus, pour nos « 4 heures » mais c’était merveilleux ! Que de souvenirs …Nous, les gosses, c’est déjà ça que nous avons perdu fin 1939 ! En cela, nous étions déjà des victimes ! A l’identique je n’oublierai jamais qu’en 1937 et 1938 un belle tranche de pain avec un bon morceau de lard gras, le tout bien enveloppé au fond de ma musette, m’accompagnaient « au champ les vaches » à la ferme Maurice COTETIDOT à Curtil St Seine. C’était simple et pourtant si bon ! La preuve, j’en salive encore !
Dans ses confessions, Jean Jacques ROUSSEAU rapporte qu’une princesse aurait clamé, parlant des paysans n’ayant pas de pain…« qu’ils mangent de la brioche ! ». Eh, oui grâce au travail de nos deux boulangers, nous pouvions nous aussi manger de la brioche le dimanche ! Sauf pendant l’occupation, bien entendu ! Merci à Georges SOULIER et Albert GAUTHEY et veillons à leur garder un bon souvenir, ils ont tellement fait pour nous !
» C’est marrant de dire qu’une boulangerie est un gagne-pain. »..Gilles Legardinier
LA VIGIE CITOYENNE.